Vous lisez l’Encrier — le média qui analyse les stratégies des meilleures newsletters pour vous aider à développer la vôtre. Un lundi sur deux (with love). ❤️
En France, est-ce que payer pour lire du contenu est une hérésie si furieuse que ça ?
N’en déplaise aux experts marketings et à leurs avis bien tranchés — qui actent ce qui devrait être ou ne pas être — les newsletters payantes prennent de plus en place dans le monde de la création de contenu francophone.
Cette évolution en dit long sur nos nouvelles manières de consommer et de valoriser le contenu. Dans une ère où la désinformation et les contenus creux ont pris leurs aises, payer pour recevoir du contenu de qualité est presque devenu un acte de rébellion.
Aujourd’hui, on va donc débroussailler le marché de la newsletter payante en France, encore un peu controversée à l’heure où je vous écris. Mais avec un peu de chance, cet article aidera à faire avancer les choses. 🤞
Au menu, on va parler des spécificités du marché francophone, de ce qui fait qu’on est encore un peu à la traine derrière les US, de ce qui nous rend unique aussi. Je vous partagerai ce qui bloque encore une majorité d’entre nous, quelques bonnes pratiques, alternatives et retours d’expérience de créateurs qui ont passé le cap du payant.
Et si vous cherchez plutôt des leviers très concrets à actionner pour passer payant, je vous invite à compléter cette lecture avec mon autre édition, un peu plus technique : le monde mystique des newsletters payantes.
Pour écrire cette édition, je me suis fait aider par des créatrices et créateurs francophones qui ont testé le modèle dans leur domaine. Un immense merci à Océane Sorel AKA
de , de , de , de Zeeuw de et , Esther Moisy-Kirschbaum de Magma et , de , de et de . Allez suivre leur travail, il est d’utilité publique.Ma grande question : “Quel est le potentiel des newsletters payantes en France ?”
Ce sera tout le sujet de ce 32ᵉ numéro de l’Encrier. 😉
PS : J’ai tellement eu de choses à vous dire dans cette édition qu’elle dépasse la limite autorisée. Pour lire l’article en entier et ne pas vous couper en pleine lecture, cliquez sur le bouton “lire dans l’app” tout en haut.
Bonne lecture,
Mathis.
Le sujet phare de l’édition, décortiqué rien que pour vous.
Le potentiel des newsletters payantes en France
Personne n’a de boule de cristal pour anticiper si oui ou non, les newsletters payantes vont devenir la prochaine tendance en France. En revanche, on peut s’appuyer sur des signaux faibles et se faire son propre avis. Vous connaissez déjà le mien : j’y crois dur comme fer. Et j’ai quelques arguments dans ma besace pour vous faire pencher de mon côté de la balance.
Le gros sujet quand on parle des newsletters payantes, c’est la culture. On entend partout qu’en France, culturellement, les gens ne sont pas prêts à payer pour consommer du contenu. Et c’est plutôt vrai. Vrai si on se compare aux US où c’est monnaie-courante. Sans surprise, les newsletters payantes les plus balaises de la Creator Economy sont de l’autre côté de l’Atlantique. Est-ce que ça va nous arrêter ? Bien sûr que non.
Côté frenchie, les choses sont aussi en train d’évoluer. La surabondance de contenus clonés, creux et accessoirement claqués au sol pousse les lecteurs à davantage “chiner” du contenu travaillé, incarné et de qualité. Cette première étape, c’est la valorisation du “bon contenu”. Les gens commencent à comprendre l’importance de faire le tri. Ils consomment de plus en plus activement et sélectionnent avec soin ce qu’ils lisent, écoutent, regardent. Inévitablement, cette valorisation se paye.
“Je pense que le marché de la newsletter payante en France est en train de mûrir. […] Il y a quelques années je n’aurais pas été prête à mettre un paywall au milieu d’une newsletter que j’envoyais aux gens. J’aurais eu, je pense, plus de scrupule. Mais là, ça me semble naturel. Je pense qu’on peut comparer ça à ce qui s’est passé il y a une quinzaine d’années autour des médias. Je me souviens quand certains médias comme Le Monde ont commencé à mettre certains contenus en payants, beaucoup de personnes s’insurgeaient : “internet c’est fait pour être gratuit !” Et puis petit à petit, on s’est complétement habitué à payer pour lire des contenus de qualité sur internet. Je crois que c’est en train de se normaliser aujourd’hui pour les producteurs et productrices de contenu indépendants.” —
(La Douceur)
C’est vrai qu’historiquement, l’information a toujours été gratuite sur internet. Alors pourquoi est-ce que maintenant, on devrait payer ?
Je crois que l’information créée gratuitement sur une longue période finit par perdre en qualité. J’ai vu des créateurs passer des heures sur leurs médias chaque semaine. Sans rémunération ou contrepartie, ils perdent petit à petit en motivation. Vouloir apporter de la valeur aux autres n’est plus un argument suffisant à ce stade, la seule issue possible est de chercher à rééquilibrer le modèle. Autrement dit : monétiser ses contenus, directement ou indirectement, pour continuer à le créer.
“Je remarque que de nombreux abonnés passent au payant non seulement pour accéder à du contenu exclusif, mais aussi par envie de soutenir un travail indépendant. Ça devient presque politique comme démarche, un moyen de financer directement les créateur·ices qu’ils apprécient.“ —
(Tchik Tchak)
Attention cependant, apportons un peu de nuance. Je ne veux pas vous faire croire que la newsletter payante est accessible à tous en claquant des doigts. La réalité, c’est qu’encore très peu de newsletters francophones vivent à 100% de ce modèle. Je crois qu’il est d’abord préférable d’imaginer la newsletter payante comme un des nombreux leviers à actionner pour monétiser son média (avec la vente de produit ou de service, le sponsoring, etc), mais pas encore comme un fin en soi.
Tout ce qui nous en empêche
En France, on parle surtout du blocage du côté des lecteurs — la culture, tout ça. Pourtant, même dans une France où le contenu payant serait la norme, le plus gros des blocages se trouverait côté créateurs. Encore une fois, c’est une question de valorisation.
“Si moi-même je ne valorise pas mon travail, comment puis-je attendre des autres qu’ils le fassent ?” —
de Zeeuw (Money Feelings & Snowball)
Je connais des dizaines de créateurs qui partagent du contenu gratuit à leurs abonnés depuis des années. Qui y passent parfois la moitié de leurs semaines, si ce n’est la totalité. Le problème n’est pas que leur audience n’est pas prête à payer, mais que ces créateurs ne sont pas prêts à imaginer que leurs contenus aient effectivement de la valeur.
“Mon entourage m’a rapidement conseillé de la passer [ma newsletter] en payant en me disant que j’y passais du temps et que le contenu était généreux et de qualité. Je n’étais pas prête à le faire, mais j’y pensais beaucoup car je voulais un moyen de continuer à mettre de l’énergie dans ma newsletter en restant indépendante et de pouvoir en vivre à terme. Au bout d’un an, j’ai mis en place un outil qui permettait d’apporter une contribution d’un minimum de 3 euros via l’outil Kofi. J’ai été surprise de voir que ça prenait. Au bout de quelques mois, je me suis dit que c’était le moment de me lancer dans la newsletter payante.” —
(C’est moi qui l’ai fait)
En France, la culture veut que ce soit un peu “mal vu” de gagner de l’argent. C’est tellement ancré en nous qu’on culpabiliserait presque de monétiser nos efforts, de même y penser. Alors on s’autosabote.
“Je n’éprouve plus aucune culpabilité à ce sujet, et encore moins le sentiment de ne pas le mériter. Je travaille dur, je fais des recherches précises, j’y consacre du temps, et ce travail aide, informe et transforme les comportements financiers de mes lecteurs. Ça a de la valeur. J’écris sur ces sujets parce que je suis passionnée par l’écriture et par la psychologie de l’argent. Mais j’ai plein d’autres passions (trop 😅), et j’ai choisi de faire de celle-ci mon métier. Donc, je dois m’assurer qu’il soit rémunéré.” —
de Zeeuw (Money Feelings & Snowball)
Quelques conseils de créateurs
Pour préparer cette édition, j’ai échangé avec de nombreux.ses créatrices et créateurs francophones. Parce qu’ils.elles ont le recul nécessaire pour nous donner leurs retours d’expérience, mais aussi parce que je veux vous montrer que c’est possible. Si toutes les discussions étaient très différentes, j’ai conclu chaque échange par la même question : “Si tu avais un seul conseil à donner aux créateurs de newsletters, ou un piège à éviter, ce serait quoi ?”
Voici quelques-unes de leurs réponses :
Pauline de Zeeuw parle d’équilibre et de réalisme financier :
“Pour moi, l’idéal, c’est de se lancer sans compter dessus financièrement au début. Trouver son rythme, accepter d’évoluer, rester flexible pour tester avec son audience — ensemble — et surtout, être constant sans se brûler. Parce que ça va être épuisant. Parce que vous allez forcément vous comparer. Parce que les jours où la newsletter part, on attend toujours qu’il se passe un énorme truc… alors qu’en réalité, c’est souvent le jour où on perd des abonnés haha. Garder le cap sur la durée, c’est bien plus difficile qu’on ne le pense. Sarah Fay de “Substack At Work” dit toujours qu’il faut parfois 2 à 3 ans pour trouver le bon équilibre entre le temps investi dans sa newsletter et la rémunération qu’on en attend.” —
de Zeeuw (Money Feelings & Snowball)
Esther Moisy-Kirschbaum et Océane Sorel parlent de l’importance de soigner son contenu avant de penser à tout le reste.
“Montrer la qualité de son travail et le fait de pouvoir tenir le rythme avant de monétiser soit tout son contenu, ou faire de son contenu gratuit une porte d'entrée qui donne ensuite envie de montrer son support ou d'accéder à des contenus plus premiums.” — Esther Moisy-Kirschbaum (Magma & Oblique Forecasting)
“Je passe plus de 40h à écrire une édition. C’est énormément de travail et je l’oriente toujours pour que l’information soit très pratique pour eux. Je pars du principe que lorsque tu apportes de la valeur aux gens, tu as forcément des résultats. Tu peux mettre tous les efforts marketing que tu veux, si ta newsletter n’est pas ouf, si elle n’apporte pas de valeur, ça ne marchera pas. Donc je mise tout sur la valeur et tout l’essentiel de mon temps est mis sur la valeur.” — Océane Sorel,
(Au Microb’scope)
Pauline Mauroux et Lauren Bastide parlent de singularité, de plume et de lien de confiance :
“Mon conseil serait de ne pas sous-estimer l’importance du gratuit avant de vouloir vendre du payant. C’est tentant de mettre tout de suite du contenu derrière un paywall, mais une newsletter payante repose sur la confiance. Avant d’espérer convertir des abonnés, il faut d’abord prouver la valeur de ce qu’on apporte en gratuit. C’est ce qui permet aux lecteurs de s’attacher à ton travail et de voir pourquoi ça vaut le coup d’aller plus loin. En parallèle, le piège à éviter, c’est de vouloir absolument copier un modèle existant en se disant « ça marche pour lui, je fais pareil ». Une newsletter qui fonctionne repose sur la singularité : soit par la voix du créateur, soit par l’angle ou l’expertise proposée. On peut s’inspirer d’autres, mais il faut adapter et construire sa propre identité, son propre style. C’est ce qui donnera envie à vos lecteurs de rester et de vous soutenir.” —
(Tchik Tchak)
“J’ai envie de dire : n’écrivez pas vos newsletters avec Chat GPT parce que vraiment ça se voit, je trouve ça dommage ! Je pense que l’IA peut aider à structurer, à synthétiser, à réfléchir à certains contenus. Mais c’est très important de garder sa voix authentique. En tout cas moi, en tant que grande consommatrice de newsletter, c’est ce que je recherche.” —
(La Douceur)
Doubler ses contenus en anglais ?
Pas encore convaincu par le modèle de la newsletter payante ? Je vous fais confiance, vous connaissez vos lecteurs mieux que moi. Cette newsletter n’est d’ailleurs pas là pour vous convaincre, mais pour vous partager un maximum de solutions. Parmi elles, doubler ses contenus en anglais a de grandes chances de mettre tout le monde d’accord.
Deux avantages à cette approche : 1) la capacité d’audience et 2) la différence culturelle. Le premier, tout le monde l’a : en traduisant ses contenus en anglais, on s’ouvre automatiquement à une audience beaucoup plus vaste, si ce n’est mondiale. Mais l’ouverture culturelle est selon moi le point le plus intéressant ici. En ciblant une audience internationale, on se confronte à d’autres manières de consommer du contenu. Si en France, payer pour une newsletter est encore peu commun, aux US et dans d’autres pays, c’est une pratique courante. De quoi contourner le problème.
Cette stratégie, certains francophones l’exploitent déjà. Je pense à
qui écrit (en français) et (en anglais). Mais aussi à qui écrit également dans les deux langues. D’autres encore se lancent directement en anglais comme de Zeeuw avec .J’entends d’ici les profs de français crier au sacrilège, à la mort lente de notre belle langue. Je crois au contraire que c’est une manière très intelligente d’étendre la portée de nos messages.
🔧 Côté pratico-pratique : Substack propose une option de traduction automatique en fonction de la localisation de vos lecteurs. Mais attention, pour proposer une newsletter payante dans une autre langue, je pense qu’il est plus adapté de créer deux versions bien distinctes. Dernier point, une mauvaise traduction peut mettre en péril l’incarnation de vos textes, et donc votre “voix”. Même si les outils de traduction font aujourd’hui des merveilles, ça peut valoir le coup de se rapprocher de traducteurs natifs professionnels (ou de doubler vous-même si vous avez le niveau).
De l’inspiration à la louche — les trucs cools récemment publiés sur la toile.
1️⃣
de détaille combien ça rapporte (vraiment) une newsletter payante sur Substack. Soit il m’a espionné pendant la rédaction de cette édition, soit on est vraiment hyper connectés.2️⃣
vient d’entrer dans le top 10 de la catégorie “Health ans Wellnes”s sur Substack. Première newsletter francophone du classement. Allez donner un peu de force à Océane qui m’a grandement aidé pour cette édition.3️⃣
de nous parle de son plan d’attaque pour passer son média de 11K à 20K abonnées en 2025. Je ne peux que vous recommander d’aller grossir ses rangs, ça vaut le détour.Votre droit de vote pour la suite de l’Encrier.
🍔 1. Pomélo - La newsletter food pas comme les autres d’Ezéchiel Zérah, ex-rédacteur en chef des pages gastronomie de L’Express
👨🍳 2. Café clope avec le Boss - L’audace et l’impertinence (et très bien amenée) de la newsletter des restaurants PNY
🌃 3. Pourquoi les villes de France lancent-elles toutes leur newsletter ?
Pour clôturer cette édition, qui j’espère vous sera d’une aide précieuse, j’aimerais finir avec ces quelques phrases de Lauren Bastide qui résument tout le sujet — et que j’ai trouvées absolument formidables :
“Je crois qu’il y a un énorme enjeu aujourd’hui à pouvoir s’appuyer directement sur les personnes qui nous lisent, qui nous écoutent, qui consomment nos contenus — de pouvoir le plus possible se passer des supports médiatiques, des journaux, des maisons d’éditions. Je pense qu’il y a un enjeu politique à ça parce qu’on sait très bien qu’il y a en ce moment une concentration de tous ces outils médiatiques et culturelles aux mains d’une poignée de personnes (qui ne partagent pas forcément la même vision de la société que moi). Pour moi, c’est vraiment très important de pouvoir m’adresser à mon audience en toute indépendance. Donc je crois qu’arriver à monter un système de contribution et de rétribution sans intermédiaire entre l’auteur / l’autrice et le lecteur / la lectrice, c’est bénéfique à la liberté d’expression, à la liberté de créer, à la liberté d’informer.” —
On se retrouve dans 15 jours ! D’ici là, prenez bien soin de vous !✌️
Mathis
—
PS : si vous souhaitez passer votre newsletter un cran au-dessus, vous pouvez toujours découvrir mes accompagnements ici. Et si vous préférez sponsoriser l’Encrier, alors c’est plutôt par là.
Merci pour cette lettre très instructive, c'est super de lire les points de vue d'autant de créateurs de newsletter francophones et expérimentés !
J'ajouterais une chose : l'importance du lien à sa communauté de lecteurs. Quand j'ai lancé mon volet payant en septembre 24, mes lectrices de longue date ont été les premières à s'abonner. J'écris en ligne depuis 20 ans, certaines me lisaient déjà sur mon blog en 2005 ! La newsletter payante a renforcé des liens qui étaient déjà là.
Je confirme par ailleurs que c'est un engagement de longue haleine. Je cherche encore mes marques. Mais je savais dans quoi je m'engageais, je tiens une newsletter hebdo gratuite depuis des années. Les newsletters exigent une grande endurance.
Merci Mathis pour la mention ! Très intéressant de lire les avis des autres créateurs de newsletters et de constater que, globalement, nous avons à peu près la même expérience et la même vision ! N'hésite pas si tu as besoin d'autres infos. Créer ma newsletter a été la meilleure décision de ma vie : celle qui m'a permis de démissionner et qui me permet désormais d'en vivre à temps plein.
Side note: Pour la traduction en anglais, c'est une bonne idée, à condition que le contenu soit suffisamment universel et puisse s'adapter aux deux audiences sans trop de modifications. Par exemple, je vis aux États-Unis, mais mon contenu est en français. J’ai bien pensé à créer la newsletter en anglais et à la traduire, mais les recommandations varient énormément d’un pays à l’autre, sans compter les différences culturelles (ex : une newsletter sur les fromages au lait cru et les enfants n’aurait pas du tout parlé à un Américain). Donc, tout dépend du sujet selon moi. ;-)